Souvenirs d’un marin du PROTEE

Sous-marin Protée

            Cet article a pu être réalisé grâce aux documents aimablement prêtés par Madame Veuve Cervera dont le mari était embarqué sur le Protée de 1935 à 1939.

            Monsieur Cervera, décédé en 2010 à l’âge de 96 ans, était adhérent de l’AGASM sous le numéro 0758. Il était entré dans la Marine en 1934 et il l’a quittée en 1946 comme second maître électricien.
Embarqué sur le Protée le 1er janvier 1935 il fut débarqué sanitaire pour début de tuberculose à l’hôpital de Sidi Abdallah de Bizerte début avril 1939.

            Voici quelques-uns de ses souvenirs, retranscrits fidèlement, de cette période.

            « Lors de mon embarquement, je fus versé dans l’équipe d’entretien et de réparations. C’était la meilleure façon d’apprendre le fonctionnement d’un sous-marin. On ne s’imagine pas la fragilité des appareils. Cela est dû en grande partie à l’eau de mer, au brouillard, aux embruns. Le sel se dépose partout et les appareils électriques en particulier tombent en panne par mise à la masse des fils conducteurs, des induits, des inducteurs isolants. Nous étions tout le temps en train de remonter « l’isolation ». Même dans les deux batteries d’accumulateurs (160 accus chaque x 2. Un accu pesait 640 kg). Ils donnaient 320 volts à chaque batterie. On pouvait les monter en série à 160 volts une demi-batterie pour l’éclairage et certains petits moteurs, ou en parallèle à 360 volts pour les deux moteurs électriques de propulsion pour la plongée. 2 moteurs électriques de 1000 chevaux chacun, ils servaient aussi pour le lancement des Diesels (2 de 3000 CV) les diesels pouvaient être aussi lancés à l’air comprimé à 30 kg.

            La vie est très dure sur ce genre de bateau. Pas de place, pas d’eau (3 litres par jour et par homme). 2WC à la turque pour l’équipage, 1 à l’avant, 1 à l’arrière avec 1 lavabo-douche fermé à clef. 1 pour les officiers mariniers avec 1 lavabo. Le commandant et l’officier en second avaient une chambre chacun 2m sur 1,5 m. l’ingénieur et l’enseigne se partageaient 1 réduit à 2 couchettes superposées.

            L’équipage était divisé en 3 tiers :
le 1er tiers était de service à la Mer, à son poste de 6 à 8 heures
le 2ᵉ tiers était de corvée pour l’entretien et les réparations
le 3ᵉ tiers se reposait (couchette ou hamac) ou de sortie ou donnait un coup au cuistot.

            Je fus désigné pour faire partie de l’équipe de réparations et d’entretien. Ce qui me permit de me présenter en 1936 pour passer le Certificat de Capacité de Conduite sous-marine. Je fus reçu haut la main. J’avais appris beaucoup de petits secrets et je suivais des cours du soir donnés par des ingénieurs de l’arsenal.

            Je vais vous expliquer en peu de mots ce qu’est un sous-marin. C’est un bateau, entièrement clos (fermé) qui grâce à un périscope voit ce qui se passe à la surface et qui reste invisible sous l’eau. Nous pouvions descendre à moins 80 mètres. S’il le fallait un peu plus. En surface nous nous servions de 2 moteurs diesel de 3000 CV chaque, des Sulzer. En plongée nous avions 2 moteurs électriques de 1000 CV. Le moteur électrique entraîné par le diesel se transformait en génératrice (dynamo) pour recharger nos batteries en courant continu. Un élément de deux volts pesait 640 kg. Il y avait deux batteries de 160 éléments soit 220 volts disponibles chaque. Ce qui explique que l’équipage se composait majoritairement de mécaniciens et d’électriciens dans les sous-marins. Un sous-marin à cette époque ne pouvait rester sous l’eau qu’au maximum 2 jours en prenant beaucoup de précautions : nous disposions de produits chimiques pour éliminer le gaz carbonique des ventilateurs, tout un circuit de l’avant à l’arrière avec des filtres. Le commandant en second faisait l’analyse de l’air intérieur et avait la possibilité de lâcher de l’oxygène pour enrichir l’air. L’oxygène était dans des bouteilles – comprimé à plusieurs kilos de pression.

            En plongée prolongée, les hommes d’équipage non de service devaient se coucher, allongés, pour économiser l’oxygène. Aucun mouvement à bord. Aucun moteur électrique pour économiser les batteries. Tout était stoppé, lumières minimums. Nous avions la possibilité de lâcher de l’air comprimé nous servant à faire surface. Dans ce cas nous pouvions faire surface sur les barres de plongée avant et arrière, moteurs électriques en avant.

            Pour les moyens de sortir : on pouvait compter sur
– un sas de sortie à l’arrière du bâtiment
– d’un sas double situé au compartiment entre les auxiliaires et le Poste Central
– à la rigueur par les tubes lance-torpilles à l’avant à condition qu’il n’y ait plus de torpilles.

Pour remonter : nous avions possibilité de larguer le plomb de secours (plus de 6 tonnes) accroché à la quille, du Poste Central, une simple poignée à tirer.

            Nous pouvions alléger le bâtiment en vidangeant les caisses d’assiette à l’avant et à l’arrière (à condition que les pompes marchent) d’autre part, nous avions, individuellement un appareil Davis, un masque avec un embout respirer de l’oxygène pour monter maximum -20m. Et puis nous pouvions déclencher un téléphone contenu dans une cuve sphérique étanche qui pouvait dérouler 200 m de câble téléphonique vers la surface. Mais un sous-marin coulé, plein d’eau ne peut faire surface, nous le savions. Et ça donne des cauchemars même maintenant.

            Le Protée était commandé jusqu’en 1937 (je crois) par le capitaine de corvette Courson, puis après par le capitaine de corvette Blanchard.

            Aventure avec le CC Courson : lors d’une plongée aux environs des côtes marocaines et espagnoles, en Atlantique, le Protée avait des difficultés à respecter les ordres -40 mètres. Le bateau était « lourd », il n’obéissait pas au barreur de pongée AV. nous descendions à -50, à -60, à -70 et allions malgré nous vers le -80 m. C’était notre maximum à cette époque. Nous fîmes surface et le Cdt fit prendre un seau d’eau de mer. Nous goûtâmes. C’était presque de l’eau douce, soit un bras du Gulf Stream qui se promenait par là. L’eau ne portait pas.

            Je suis resté à bord du Protée 4 ans 1/2. Je fus débarqué sanitaire (à Bizerte, hôpital de Sidi Abdallah soupçonné de tuberculose) on rapporta au commandant en second de l’époque, le lieutenant de vaisseau Petit, que je perdais du sang par la bouche et le nez on avait vu mon mouchoir tout rouge.

            Nous avions perdu le second maître électricien Brassier à l’hôpital de Casablanca quelques mois auparavant pour les mêmes motifs. Le commandant Courson (capitaine de corvette) qui me connaissait très bien (en 1937 pendant la guerre civile d’Espagne j’avais traduit un radio du capitaine du port de Palma de Majorque nous autorisant à mouiller à l’extérieur des filets pare-torpilles) puis avec le Berthon (un canot en toile) je l’avais mis à terre dans le port de commerce en grande tenue, bicorne et sabre au côté, appelé un fiacre, lui disant de l’amener chez le Consul de France porter un message. Le consul lui réglera la course. Et nous rentrons à bord 2 heures après (bien entendu, tout cela en espagnol).

            C’était Courson qui m’avait personnellement avisé, sur le pont alors que je le saluais en le croisant que j’étais nommé quartier-maître, avec une note de 18/18. C’était Courson qui, lors d’une revue d’armes, à Toulon, m’avait demandé devant tout l’équipage pourquoi mon père n’avait pas pris la nationalité française. Je lui appris que mon père ne parlait pas un mot de français et que s’il avait changé de patrie, il aurait été un mauvais espagnol, et qu’un mauvais espagnol ne pouvait pas être un bon français. Courson comprenait.

            Souvenirs de mai 1940.
   Nous étions en guerre et j’avais 26 ans.
   Je venais de rentrer de France, de Cherbourg, de l’École de formation des Chefs de postes d’écoute sous-marine. J’avais été reçu premier sur une cinquantaine d’élèves pour toute la Marine. C’était devenu indispensable vu l’évolution de la guerre maritime. On écoutait les avions. Maintenant l’ennemi était aussi sous la mer.

           Je faisais partie avec une douzaine de jeunes d’un poste d’écoute au pied d’un fort qui protégeait Bizerte. Nous avions une dizaine de micros mouillés à différents endroits à des kilomètres en mer, disposés en étoile, en éventail.

            Comme chef de poste je devais signaler au Central du fort de la Défense littorale tous les bruits bizarres que les microphones captaient, 24 heures sur 24. Un cargo ne fait pas le même bruit qu’un chalutier ou un torpilleur, ou mouilleur de mines ou un sous-marin. Et j’entendais aussi d’autres bruits étranges : bancs de sardines, thons en chasse, chants de baleines. Tous ces bruits passaient d’un micro à l’autre, donc la route suivie du Nord au Sud, d’Est en Ouest, etc.

            Pour les navires je pouvais dire au Fort si c’était une turbine, ou un diesel, une simple machine à vapeur, leur vitesse entre deux micros, le nombre de tours des hélices, etc.

            Un soir je signalais qu’un sous-marin électrique venait du Nord-Ouest. C’était un Diesel (mot biffé sur le texte original), il tournait à 150 tours, sur 2 hélices. Il venait vers nous. Le commandant du Fort me demanda comment je pouvais affirmer cela. Je lui dis que j’étais un ancien sous-marinier, et que j’avais le certificat de capacité de navigation sous-marine depuis plus de quatre ans. Il avait donné l’ordre de branlebas. Paré à tirer avec ses canons de 200 mm. Bien sûr je ne voyais pas le sous-marin et je ne connaissais pas sa nationalité, mais je savais exactement où il se trouvait. À bout d’un moment, je téléphonais au Fort pour signaler que le sous-marin faisait surface, car j’entendais qu’il « chassait » dans les ballasts. Heureusement que le sous-marin avait un pavillon français à l’arrière du kiosque parce que le Fort était prêt à l’allumer. C’était un sous-marin qui s’était évadé de Toulon la veille.

            Alors que plusieurs mois plus tard j’étais le secrétaire du Commandant de la Défense littoral, le Capitaine de Frégate Gervais je reçus la visite d’un jeune Lieutenant de Vaisseau (il était le secrétaire de l’Amiral Derrien Commandant en chef de la Marine en Tunisie) qui me dit je suis le commandant du sous-marin que vous aviez signalé rentrant à Bizerte.

            J’avais troqué mon uniforme de marin pour une tenue civile. J’avais le même travail, mais nous avions signé l’Armistice et comme fils d’étranger, les Commissions d’Armistices allemande et italienne traquaient les juifs, les francs-maçons, les Alsaciens, les Lorrains ils cherchaient des « volontaires » pour leurs sous-marins et des volontaires pour se battre en Russie.

            Le commandant Gervais fit le nécessaire auprès de l’Amirauté. Le Capitaine de Vaisseau Le Chuiton m’apprit quelque temps après que j’étais nommé second maître et que je partais pour Dakar ».

            J’ai fait des recherches concernant le sous-marin détecté en 1940 au large de Bizerte et rien trouvé de réellement valable. Était-ce l’Archimède ou le Narval ? Même dans le livre de l’Amiral Guillon il n’est fait nulle part référence à un sous-marin ayant rallié Bizerte en mai 1940.

            Mais je suis sûr que nos historiens vont réussir à débusquer la bête. À noter que monsieur Cervera était déjà une sorte d’Oreille d’Or comme nous l’étions déjà plus ou moins dans les années soixante avec nos anciens moyens de détection comme le G16 avantageusement remplacé par le G36 puis par le GCO2.

Article compilé par Jean-Paul Jannin